mardi 16 février 2010

Stratégie 2010

(Achevé de rédiger le 12 janvier 2010)
L’année 2009 aura donc été celle de tous les excès : après un plongeon sur des plus bas historiques de douze ans dans un contexte avéré de capitulation (écroulement du système financier, fin du capitalisme, émeutes urbaines : voici quelques-uns des fantasmes que certains commentateurs nous ont servis alors), les marchés sont repartis de l’avant pour enregistrer un rebond inédit (+ 56,2 % en clôture pour le CAC 40 par rapport au point bas de mars). La catastrophe tant attendue – voire espérée par certains – n’a donc pas eu lieu. Les faits nous ont donné raison (voir PU n° 2355) et si l’économie mondiale reste encore convalescente, elle semble progressivement sortir des soins intensifs. Il est vrai que l’administration de plusieurs médications a permis aux agents économiques de reprendre progressivement confiance et aux investisseurs de revenir sur les marchés qu’ils avaient, en masse, désertés et « sur-vendus ». Après l’erreur historique qui a consisté à laisser Lehman Brothers sombrer, les gouvernements ont jugé qu’il convenait de faire montre d’un volontarisme certain. Ainsi et dans une belle unanimité, tous ont assuré et répété vouloir sauver le système financier, au bord de la rupture. Les garanties bancaires ont été étendues par les États afin de rassurer les épargnants, tandis que les banques les plus fragiles se voyaient prêter des milliards par les pouvoirs publics. Les taux interbancaires repartaient alors à la baisse, évitant ainsi le « credit crunch » (pénurie du crédit) tant redouté. Renouant avec les « grosses ficelles » du keynésianisme, la plupart des gouvernements de la planète lançaient de vastes plans de relance financés par l’endettement et destinés, principalement, à sauver certaines activités grandes pourvoyeuses d’emplois. Ainsi et pour les seuls pays occidentaux, pas moins de 2 000 Mds $ ont été mobilisés à cette fin. Une somme inédite à laquelle doivent être ajoutés les montants mis à disposition par les pays émergents, Chine en tête.  Dans le même temps, les banques centrales abaissaient leurs taux d’intérêt à des niveaux proches de zéro ou les maintenaient dans cette zone. L’injection de liquidités, la « vieille recette » monétariste cette fois, battait son plein. Des milliards de dollars ont ainsi été déversés à tous les niveaux de l’économie, ce qui a eu pour conséquence de soutenir l’activité, artificiellement il convient de le noter, en permettant de faciliter l’accès au crédit.

Ces éléments ont donc permis d’éviter le pire. Quant à savoir si la conjonction de ces stimuli a permis à la croissance mondiale de renouer avec un cercle vertueux, il y a un pas qu’il est encore bien difficile de franchir. L’économie de la planète est manifestement à la croisée des chemins. L’un après l’autre et à quelques rares exceptions, les pays occidentaux sont sortis de la récession. Mais les taux de croissance affichés pour l’heure demeurent encore très ténus. Ainsi, les états-Unis sont soumis à des signaux contradictoires. Si l’évolution du Produit intérieur brut (PIB) est redevenue positive (+ 2,2 % au 3ème trimestre pour la dernière estimation), le taux de chômage reste quant à lui ancré à 10 % et le pays continue de détruire des emplois (- 85 000 pour le mois de décembre). Dans l’immobilier, par qui la crise est arrivée via la titrisation de créances douteuses (« subprimes »), l’hétérogénéité des indicateurs reste plus que jamais de mise même si une amélioration tendancielle se dessine depuis quelques mois. Du mieux est donc à noter, c’est là un fait indéniable. En toute logique, la sortie de crise prendra encore un peu de temps mais la direction semble être la bonne, ce qui n’exclut pas, toutefois, quelques à-coups. Nous estimons ainsi que de manière graduelle, les indicateurs vont se retourner progressivement au cours de 2010. Si le début d’année pourrait encore se révéler difficile et conduire les marchés à hésiter quant à la direction à suivre, la seconde partie de 2010 devrait être le théâtre d’une reprise plus prononcée de la conjoncture mondiale. Attention toutefois aux comparaisons avec un passé récent : cette sortie de crise devrait être plus longue et plus difficile que celles que nous avons vécues dans les années 1980 et 1990. Le « petit jeu » habituel des stratégistes en manque d’idées risque de consister, comme à l’accoutumée, de se retourner pour tenter de mieux apprécier ce qui se profile. Avec, comme trop souvent, des résultats inexistants. Méfions-nous donc des effets d’annonces, des comparaisons hâtives sur les taux de croissance des résultats à venir et autres certitudes assénées car « ce qui se passera demain s’est déjà déroulé hier ». Nous resterons donc critiques en 2010 comme nous l’avons avons été l’an passé et nous méfierons, comme à l’accoutumée, des consensus.

Pour être en mesure d’identifier une sortie de crise solide, un certain nombre d’indicateurs devront s’améliorer de manière probante. En premier lieu, il conviendra de constater une progression significative de l’octroi de crédits aux entreprises. Car c’est là un paradoxe : jamais « l’argent » n’a été aussi bon marché et jamais les entreprises n’ont éprouvé autant de difficultés à financer leur croissance future. Les établissements bancaires rechignent encore trop souvent à assurer leur rôle majeur dans l’économie et préfèrent accorder des prêts aux ménages les plus solvables et utiliser les banques centrales comme des coffres forts (ils souscrivent en masse aux emprunts d’état pourtant bien peu rémunérateurs en attendant des jours meilleurs). Du coté des consommateurs, c’est évidemment vers le marché de l’emploi qu’il convient de se tourner. Celui-ci continue de se rétrécir, ce qui a plusieurs conséquences : une augmentation du taux d’épargne (l’argent mis de côté « sort » des tuyaux classiques de l’économie), une baisse de la consommation qui pèse sur la production (les dépenses des ménages comptent pour 80 % du PIB américain) tout en créant une langueur chez les acteurs économiques bien peu propice à la sortie de crise. Une amélioration du marché de l’emploi constituera donc un élément central dans le retour de l’économie mondiale à de meilleures dispositions. L’annonce de créations nettes de postes, aux états-Unis comme en Europe, devrait ainsi avoir un impact très important sur l’économie dans son ensemble. Nous pensons, compte tenu des chiffres publiés ces derniers mois, qu’une telle hypothèse est à portée de main et devrait donc se réaliser dans la première partie de l’année 2010. Mais surtout, la sortie de crise devra s’accompagner du retour progressif à une politique monétaire crédible. En ouvrant grandes les vannes du crédit et en serinant qu’il en sera de même pendant une période « prolongée  », les banques centrales, Réserve fédérale en tête, ont entaché leur réputation. Celles-ci ont préféré user des méthodes traditionnelles (injecter des liquidités) que l’on  pourra qualifier de « faciles » : l’objectif des établissements centraux semble être que tout redevienne comme avant... Ces derniers oublient un peu vite l’amoncellement des déséquilibres. Comme nous l’avons évoqué, toute sortie de crise devra s’accompagner d’un retour des taux d’intérêt à des niveaux historiquement plus acceptables. Or, la marge de manœuvre des banques centrales est très étroite et leur tâche, cette fois, difficile. Le retour de l’inflation – dont se satisferaient évidemment les états les plus endettés – constitue un risque à ne pas négliger. Dans le même temps, une remontée trop rapide et brutale des taux d’intérêt pourrait détruire la croissance dans son œuf et aurait pour conséquence un effondrement du marché obligataire (voir ainsi 1994). En fonction des améliorations que la conjoncture connaîtra à coup sûr, la Réserve fédérale et la Banque centrale européenne (BCE) devront relever leur taux d’intérêt pas à pas. Un maintien encore très « prolongé  » des taux aux niveaux actuels qui sont les leurs enverra des signaux lourds de conséquences qui porteront en eux les crises de demain. Il conviendra donc d’apprécier les glissements sémantiques auxquels se livreront probablement dans les prochains mois Ben Bernanke et Jean-Claude Trichet. L’abandon par la Fed du terme « prolongé » marquera ainsi la frontière entre un avant et un après. Le signal envoyé sera fort : « la crise est désormais derrière nous ». Gageons que cette éventualité est pour bientôt. 

Les marché d’actions en 2010 ? Volatils et hésitants...

L’exercice boursier 2008 aura été celui de la chute, historique. Le cru 2009, celui de la reprise, technique. À quoi ressemblera 2010 ? L’incertitude économique au niveau des États comme des entreprises n’étant pas beaucoup moins grande qu’au cours des deux dernières années, les douze mois à venir n’ont a priori pas de raison d’être moins mouvementés sur les marchés d’actions. Après le fantastique rebond que nous venons de connaître, les investisseurs ne veulent toutefois pas entendre parler de retour en arrière. Les prévisions des établissements sont à cet égard révélatrices puisque ces derniers tablent tous, sauf un, sur une hausse du CAC 40. Pour autant, croire que les indices vont s’installer dans une sorte de routine « haussière » comme aux plus belles heures des années 1980 ou 1990 est illusoire. Du moins en 2010. Comme le souligne presque ironiquement Michel Cicurel, président du directoire de la Compagnie Financière Edmond de Rotschild, « les principaux facteurs qui ont déclenché la crise se sont aggravés depuis ». Le secteur bancaire s’est encore concentré, la dette des États s’est envolée et les liquidités mises sur le marché n’ont jamais été aussi abondantes. Pour autant, et comme nous le soulignions déjà l’année dernière, il convient de ne jamais sous-estimer la capacité de rebond du système capitaliste et de la Bourse.
Pour comprendre où nous allons, il faut un instant regarder en arrière et se rappeler pourquoi nous sommes revenus fortement à l’achat au plus fort de la crise. Voici un an, les investisseurs avaient intégré le scénario d’un effondrement du système et les banques centrales s’apprêtaient à ouvrir les vannes des liquidités. Un effet de ciseau incroyablement favorable a ainsi pris forme : la capacité d’achat des investisseurs s’est accru alors que les actifs étaient bradés. Qu’en est-il aujourd’hui ? Les valorisations ont rebondi mais les liquidités sont toujours abondantes. Pendant combien de temps ? C’est une question-clé pour les marchés d’actions. Pour l’instant, les opérateurs ne croient pas à une remontée des taux en 2010. N’est-ce pas là une hypothèse incohérente avec le scénario d’une reprise économique et d’une hausse des actions ? Si les banques centrales tardent à relever les taux d’intérêt, qui sont à des niveaux incroyablement bas, c’est le signe que l’économie ne fonctionne pas normalement... Peut-on dès lors parier sur une progression des bénéfices des entreprises au-delà du phénomène de rattrapage actuel ? Le doute est permis. De fait, une remontée progressive, et dès 2010, des taux directeurs américains et européens seraient, selon nous, le meilleur scénario. Quitte à freiner la hausse des indices dans un premier temps mais à s’assurer de meilleures années par la suite. Les pressions politiques étant néanmoins fortes (« ne freinez pas la reprise et l’emploi ! » hurlent déjà les gouvernements), rien ne dit que les banques centrales raisonneront ainsi. Sur ce front, il convient donc de rester attentif pour deviner de quel côté la balance penchera. Seule certitude : le marché valide actuellement un scénario qui lui est très favorable à court terme. Un risque de déception, brutale, existe donc bel et bien dès le 1er trimestre. 

Quelle alternative aux actions ?

Quoi qu’il en soit, alors que les liquidités restent abondantes, les actions sont-elles encore attractives ? Un argument plaide encore et toujours en leur faveur : l’absence d’alternative. Regardez autour de vous. Combien d’amis ou de connaissances, cherchent à placer leurs économies mais ne trouvent pas de placement attractif. L’immobilier  ? Trop haut. Après 150 % de hausse des prix en dix ans et des loyers qui offrent des rendements inférieurs à 5 % (pour un bien non liquide, rappelons-le), ce n’est pas une correction de 5 % à 10 % qui va relancer la hausse. Les obligations ? La réponse a déjà été donnée plus haut : un krach obligataire n'est pas impossible. Il faudrait être fou pour s’engager sur plusieurs années à des taux historiquement faibles. Les livrets et autres super-livrets ? Après impôts, le rendement est proche de zéro. Pour l’instant du moins. Bref, sauf à vouloir dormir sur un matelas de billets, l’investisseur moyen a tout intérêt à se tourner vers les actions qui offrent à la fois une perspective de rendement et de plus-values. Pour autant, alors que 2009 a vu quasiment l’ensemble des valeurs participer à la fête, trier le bon grain de l’ivraie sera primordial en 2010. Et pour cause : les valorisations affichent d’importants écarts selon les capitalisations et les secteurs.

Les valorisations ? Très hétérogènes...

Les marchés parisien et européen se payent environ 13,5 fois les bénéfices estimés pour 2010. Nous ne sommes donc plus inscrits dans un excès de sous-valorisation semblable à celui d’il y a un an même s’il existe encore une décote par rapport à la moyenne historique. En outre, les investisseurs espèrent voir les profits des entreprises progresser de 30 % après un recul de 26 % en 2009, ce qui est optimiste. Les sociétés peuvent encore compter sur l’impact des réductions de coûts au 1er semestre mais au-delà, la hausse des chiffres d’affaires devra prendre le relais. Les CCR (coefficient de capitalisation des résultats ou PER en anglais) sont par ailleurs très fluctants d’un secteur à l’autre avec des pics de valorisation notamment pour les valeurs du luxe ou de la technologie. Certains titres affichent ainsi des ratios équivalents à ceux de la grande époque (2003/2007). En termes de perspectives, d’importants écarts se font également jour : certains groupes ont démontré leur capacité à afficher une croissance en temps de crise, d’autres ne retrouveront jamais une progression de leurs ventes sans un soutien étatique et monétaire. Ces éléments nous poussent à croire que le marché évoluera au cours de cette année charnière en dents de scie. Ce qui ne constitue pas une mauvaise nouvelle – la volatilité sera mise à profit – pour peu que la mobilité soit le maître-mot dans vos investissements.


Ni hausse, ni baisse, serions-nous tentés de dire à l’orée de 2010, mais de nombreuses hésitations qui se traduiront par de la volatilité et la multiplication de micro-tendances. Le choix ciblé de titres (« stock-picking » en anglais) sera la clef alors que des poches de sur-valorisation mais aussi de sous-valorisation existent. Après nos récentes ventes/allégements, le montant de vos « liquidités » doit en outre avoir considérablement augmenté. La confiance des investisseurs en ce début d’année – nombre d’entre eux attendent un 1er semestre 2010 plus doux que le 2nd – doit constituer une alerte et non un soulagement. Une correction ne devrait pas tarder à prendre forme et nous fournir une opportunité pour réaliser de nouveaux allers-retours. Le retour des introductions en Bourse va par ailleurs permettre d’accéder à quelques dossiers très attractifs. « Enfin », dirons-nous après deux ans de diète sur ce front.

jeudi 11 février 2010

Chine, le Japon du XXIème siècle ?

Alors que les investisseurs jouent à se faire peur en évoquant la faillite potentielle de pays développés comme la Grèce, le Portugal ou encore l’Espagne, le « dossier chinois », bien plus terrifiant à nos yeux, profite de leur étonnante complaisance. En réalité, si la grande majorité d’entre eux n’était pas aveuglée par la brillante communication des autorités de Pékin, une certaine angoisse les étreindrait dès maintenant. Que savons-nous de la Chine ? Que sa croissance est passée de 6,1 % en rythme annuel au 1er trimestre à 7,9 % au 2ème, 9,1 % au 3ème et enfin 10,7 % au dernier trimestre 2009. Le tout dans un contexte marqué par une récession mondiale sans précédent depuis la Seconde Guerre mondiale. L’ex-Empire du Milieu vivrait-il à l’écart du reste de la planète ? Absolument pas puisque le pays vient d’ailleurs de ravir à l’Allemagne le titre de premier exportateur au monde. La folle ascension de la Chine n’est en réalité pas sans rappeler celle du Japon dans les années 1980. Au-delà de la capacité du pays à produire à bas coûts, les entreprises chinoises profitent surtout de la faiblesse artificielle de la monnaie nationale. Dans le même temps, la détermination et l’interventionnisme du gouvernement visant à soutenir coûte que coûte la croissance a attiré les investisseurs du monde entier. Cet afflux a conduit à une situation de surinvestissement chronique et à une envolée des crédits bancaires dont la masse devrait représenter 130 % du produit intérieur brut du pays à la fin de l’année. Bref, la « spéculation » bat son plein et les valorisations boursières comme immobilières atteignent des niveaux astronomiques. La Banque centrale chinoise a beau annoncer vouloir juguler la surchauffe, il serait étonnant que la croissance ne finisse par connaître un atterrissage brutal. La situation chinoise n’est pas identique à celle du Japon mais les principaux points noirs sont bien là, à savoir une croissance exponentielle, une devise sous-évaluée, des crédits bancaires massifs (prêts à se transformer en créances douteuses) et enfin une bulle « spéculative ». De quoi stimuler encore la volatilité dans le courant de l’année.