vendredi 25 juin 2010

Gare aux émergents !

Depuis plusieurs mois, nous vous alertons sur les risques que vous pouvez encourir à rester trop exposé sur la zone émergente. Nous ne modifions pas notre point de vue : les risques qui pèsent sur les quatre pays regroupés sous l’acronyme BRIC, et plus particulièrement sur la Chine, ne sont pas à négliger malgré un discours ambiant qui verse dans un optimisme béat. La restriction dans l’accès au crédit devrait ainsi peser sur le parcours des BRIC. Selon plusieurs analystes, le pic de croissance des émergents serait désormais derrière nous : la  Chine semble déterminée à faire dégonfler la bulle immobilière tandis que l’Inde et le Brésil ont entamé un cycle de relèvement des taux d’intérêt. Au plan purement boursier, ces informations ont-elles été prises en considération ? Manifestement oui : ainsi et depuis leur récent sommet touché en avril, la place boursière indienne a cédé 7 %, son homologue brésilienne 14 % tandis que les indices de référence chinois et russe abandonnaient tous les deux 20 %.

Chine : l’exubérance

Un responsable du gouvernement chinois a indiqué récemment que les exportations du pays avaient augmenté de 50 % au mois de mai et sur une année. La Bourse de Shanghaï saluait aussitôt cette annonce par un bond de 3 %, oubliant que l’inflation, dans le même temps, ressortait à 3,1 %. Voilà de quoi alimenter le débat sur les pressions inflationnistes à l’heure où les revendications salariales se font plus prégnantes (les grèves se multiplient dans « l’usine du monde »). Du côté de l’immobilier et de la construction, qui compte rappelons-le pour environ 40 % du Produit intérieur brut (PIB) chinois, aucune accalmie n’est à noter malgré les mesures – bien peu contraignantes il faut l’avouer – mises en place par le régime (voir PU n° 2419, page 11). à cet égard, l’inquiétude touche les dirigeants du pays. Ainsi, Li Daokui, membre du comité de politique monétaire de la Banque populaire de Chine, estimait dans un entretien accordé au Financial Times que « le problème du logement en Chine est plus important que celui du marché immobilier aux états-Unis avant la crise financière ». Et ce dernier de pointer du doigt les problèmes sociaux « de grande ampleur » auxquels pourrait conduire cette situation. Voilà un avertissement dont il conviendra de se souvenir. Pour ce qui est enfin de la réévaluation de la monnaie que l’Occident appelle de ses vœux de manière appuyée, la prudence reste plus que jamais de mise. Il est vrai que la chute de l’euro a entraîné mécaniquement une appréciation du yuan. Si les exportations de l’ex-Empire du Milieu n’en ont guère souffert pour l’instant (voir plus haut), nul doute que les partisans d’un statu quo y trouveront là l’occasion de donner de la voix.

Inde : attention aux déficits

Face à la crise économique mondiale, les autorités indiennes avaient pris d’importantes et dispendieuses mesures visant à soutenir l’activité. En conséquence, les déficits publics ont fortement augmenté pour désormais atteindre 6,8 % du PIB, soit un plus haut depuis seize années. En fait, le véritable problème du pays repose sur la manière dont ces déficits se sont creusés : le gouvernement a ainsi privilégié les subventions directes aux investissements structurants et porteurs de croissance. Voilà qui pourrait donc peser, à terme, sur le dynamisme du pays et qui explique l’inquiétude qui se fait jour parmi les conseillers du Premier ministre. Pour l’heure toutefois, la croissance reste au rendez-vous : le PIB a ainsi progressé de 7,4 % en une année au mois d’avril pour des projections faisant état d’une hausse de l’activité de 8,5 % pour l’exercice suivant. Le pays a poursuivi son resserrement monétaire avec une 2ème hausse en avril : même s’il s’agit là d’une certaine « normalisation », ce mouvement accélère le retournement des indicateurs avancés et devrait peser sur les projections de bénéfices des entreprises. Un soutien qui risque de manquer à la Bourse de Bombay.

Brésil : éviter la surchauffe

La Chine n’est pas le seul pays à craindre que son économie ne s’emballe. Le Brésil, qui est parvenu à échapper à la récession, s’attelle également à éviter la surchauffe alors que les économistes tablent sur une croissance du PIB de 7 % en 2010. Des coupes budgétaires ont ainsi été annoncées pour une réduction des stimuli étatiques de l’ordre de 1 % du PIB. L’inflation, qui avoisine pour l’heure les 5 %, est d’ailleurs surveillée comme le lait sur le feu. Un nouveau cycle de politique monétaire restrictive a été engagé alors que le principal taux d’intérêt était relevé de 8,75 % à 9,5 %. Des tours de vis supplémentaires sont à attendre dans les prochains mois si la croissance s’approche des 7 %. Ce virage s’annonce difficile à négocier mais reste nécessaire : un pays dont l’activité croît trop vite crée des déséquilibres
(financiers, sociaux) qui peuvent entraîner de violents ajustements. Et si le Brésil a encore les faveurs des investisseurs, une certaine méfiance pourrait très vite s’installer chez eux.

Russie : attention aux déficits

Pour la 14ème fois en une année, la Russie a abaissé ses taux d’intérêt. En estimant que les conditions actuelles de politiques monétaires permettaient au pays de soutenir la croissance tout en réduisant les pressions inflationnistes, la banque centrale a indiqué vouloir opérer une pause dans ses ajustements monétaires. Ce stimulus vise à encourager l’endettement destiné à relancer la machine économique. Pour l’heure, les résultats ne sont toutefois guère significatifs. Les autres indicateurs de la reprise tant espérée donnent par ailleurs une vision très contrastée de la situation. Voilà qui ne plaide guère pour un rebond de la Bourse.

Notre exposition aux zones émergentes reste minimale et réduite à zéro pour ce qui est de la Chine.

mercredi 16 juin 2010

Les " très sérieuses " prévisions des économistes

Voici quelques jours, un entretien paru dans le quotidien Les Échos a attiré notre attention. Kenneth Rogoff, professeur d’économie à Harvard, ancien chef économiste du Fonds monétaire international de 2001 à 2003 et coauteur d’une Histoire des crises financières, y livre sa vision sur la crise de la dette européenne. Il revient plus particulièrement sur la chute de l’euro en déclarant : « Je pense que la baisse de l’euro va se poursuivre. Il pourrait tomber à 1,10 $ – voire moins – compte tenu de son niveau de surévaluation de départ. Il pourrait même atteindre la parité avec le dollar ». Bien. Si M. Rogoff évoque si justement « la surévaluation de départ de la devise européenne », c’est bien entendu parce qu’il faisait partie de ces très nombreux économistes pointant du doigt cette surévaluation patente et les risques concomitants d’un effondrement de l’euro. Il s’agit là d’une évidence... Sauf qu’aucun économiste, du moins parmi ceux accordant des entretiens aux journaux et aux télévisions, n’a jamais évoqué un tel problème. Tous s’acharnaient au contraire à annoncer la fin du dollar, et ce depuis plusieurs mois. Nous sommes donc allés vérifier les propos de M. Rogoff avant que l’euro ne chute face au billet vert, ce que le journaliste qui lui a offert cette tribune aurait dû faire avant nous afin de remettre en perspective ses prévisions.
Le 11 avril 2008, alors que l’euro s’échange à 1,60 $, Kenneth Rogoff écrit un article intitulé « Goodbye to the dollar ? » (L’adieu au dollar ?). Il estime dans cet article que « si l’euro était prêt pour jouer les premiers rôles, nous pourrions très bien voir son taux de change avec le dollar franchir les 2 $, et pas seulement les 1,65 $ ou 1,70 $, comme il semble condamné à le faire de toute manière ». Ce niveau n’a finalement jamais été atteint. Sans nous décourager, nous avons passé en revue l’essentiel des articles rédigés par M. Rogoff ces cinq dernières années. À notre grande déception, il ne fait nulle part mention d’une quelconque surévaluation de l’euro. Pire, il souligne que le billet vert est sur une tendance « baissière » de long terme. « Si le dollar devait tomber du piédestal où il se trouve en tant que monnaie dominante, l’euro serait la seule alternative crédible », ajoute-t-il en 2008. Bref, M. Rogoff peut aujourd’hui affirmer dans la presse que la parité sera atteinte. Peut-être le sera-t-elle d’ailleurs. Mais quelle est sa crédibilité ? Comme la majorité de ses confrères, Kenneth Rogoff vient régulièrement ajouter de l’huile sur le feu dès qu’une crise surgit, et ce afin de faire parler de lui. Son objectif n’est pas de prévoir l’évolution de l’économie mais de capitaliser sur celle-ci afin de renforcer sa notoriété. Rien de très sérieux donc...

jeudi 3 juin 2010

Un point sur les valorisations

(Achevé de rédiger le 1er juin 2010)
Depuis maintenant plusieurs semaines, les marchés d’actions traversent une période de fortes turbulences. Les investisseurs sont obnubilés par les difficultés budgétaires de la Grèce et craignent une contagion à l’ensemble des pays de la zone euro. Mêmes les places américaines, peu sensibles dans un premier temps aux inquiétudes entourant la dette européenne et l’euro lui-même, ont fini par se retourner à la baisse. Alors que les opérateurs semblent succomber à une crise de paranoïa, il convient une fois de plus de conserver son sang-froid. Dans cette optique, nous revenons cette semaine sur les niveaux de valorisation des actions. Avec, à la clef, un message rassurant.

Un marché européen nettement décoté

Et si l’euro disparaissait ? Et si la Grèce, le Portugal et l’Espagne faisaient faillite ? Et si l’Europe replongeait en récession ? À force de n’échafauder que les pires hypothèses, les investisseurs semblent oublier qu’une action reflète avant tout le prix d’une entreprise. Ainsi, alors que les Bourses reculent mais que les bénéfices des sociétés se sont retournés à la hausse depuis maintenant plusieurs mois, les coefficients de capitalisation (CCR) atteignent à nouveau des niveaux historiquement faibles. En zone euro, le CCR moyen calculé sur les profits des douze derniers mois ressort à 13,8. Si l’on se fonde sur les anticipations des analystes pour les douze prochains mois, la valorisation chute même à 10,9. Du jamais vu depuis mars 2009 qui avait constitué un point bas. En France, le CCR estimé pour l’exercice 2010 ressort ainsi à 11,5 alors que les profits des entreprises sont attendus en hausse de 36 %. Certes, les turbulences politiques et financières en zone euro pourraient avoir un impact sur cette prévision (voir le marché interbancaire, page 12). Pour autant, les profits sont résolument orientés à la hausse et devraient au final afficher une croissance supérieure à 25 %. Or, sur cette base, le CCR 2010 du marché parisien ressort encore à 12,5, sous sa moyenne historique. Que dire encore des dividendes distribués ? Le rendement des actions européennes ressort à 3,3 % et il n’est pas loin des 4 % sur l’indice CAC 40. Rappelons que les obligations d’État françaises ne rapportent dans le même temps que 3 %...

Le marché américain est mieux valorisé, mais sans excès

Au titre du 1er trimestre, 80 % des entreprises composant le Standard & Poor’s 500 ont battu le consensus des analystes. L’écart moyen a atteint 14 %, soit le deuxième chiffre le plus élevé depuis la création du suivi en 1994. Pourtant, les titres des sociétés concernées ont perdu en moyenne 1 % le jour de l’annonce de leurs résultats. Il s’agit tout simplement de la pire performance des dix dernières années. Ce paradoxe a conduit le CCR du marché américain à reculer. Pour les bénéfices des douze derniers mois, il ressort à 15,3 tandis que pour les douze prochains mois, il s’élève à 13,1. Si la valorisation est bien plus généreuse qu’en Europe, elle reste là encore sous ses niveaux historiques. Les opérateurs les plus prudents mettent en avant que la base de comparaison sera moins favorable sur la seconde partie de l’année et que la baisse de l’euro face au dollar est négative. Ces éléments ont toutefois excessivement pesé alors que les profits des entreprises ont retrouvé une masse critique, inférieure de seulement 20 % à ce qu’elle était au 2ème trimestre 2007. En termes de rendement, l’attractivité des entreprises américaines est plus faible : il ne ressort qu’à 2 %.

Le marché américain n’est pas cher, loin de là. Son homologue européen est donc largement sous-valorisé. La décote dont souffrent les multinationales européennes n’est pas justifiée alors que leurs bénéfices croient aussi vite que ceux de leurs concurrentes américaines. Pour le reste, le marché japonais reste cher (CCR estimé de 17,3) tandis que les places émergentes semblent correctement valorisées (CCR estimé de 12, supérieur aux moyennes historiques).