mercredi 19 janvier 2011

Un roman de la crise

Le mardi 11 janvier, France 2 diffusait un documentaire intitulé Fric, krach et gueule de bois : le roman de la crise. Il convient évidemment de saluer cette démarche à vocation pédagogique. Nous craignions toutefois que la simplification ne prenne le dessus et que l’idéologie dominante ne remplace le bon sens. Sur ce point, nous avons été servis. En premier lieu, le titre est en lui-même étonnant. Sa première partie (Fric, krach et gueule de bois) en dit long sur la manière dont le sujet va être abordé. L’utilisation d’un tel vocabulaire n’est jamais innocente. La seconde partie (le roman de la crise) se veut quant à elle sans appel : il n’y a qu’une vérité et nous allons vous la raconter. Nous aurions préféré « un roman de la crise ». Mais soit... Dès les premières secondes, l’extrait d’une interview de Bernard Tapie et des images de luttes sociales nous renseignent malgré tout sur la manière manichéenne dont cette histoire va nous être narrée. Allons-plus loin, toutefois. Etrangement, car sans aucune explication, ce roman « définitif » de la crise commence véritablement au début des années 1980 avec l’arrivée au pouvoir de Ronald Reagan et Margaret Thatcher. Le déluge est donc intervenu après eux et (presque) rien ne leur préexistait. Le monde « d’avant » est traité en quelques secondes et images chocs. Qu’on se le dise : la genèse de la crise actuelle tient à la responsabilité de ces deux parangons de l’ultra-libéralisme. Si ce dernier terme n’est pas employé, les extraits de leurs discours qui sont diffusés se chargent de faire passer le message.


La déréglementation ayant fait son office, le destin du monde est mis entre les mains des golden boys (« jeunes gens habillés par les meilleurs tailleurs », qui « gagnent en un instant des fortunes considérables » et qui, témoignage à l’appui, ne sont d’ailleurs que des drogués, au sens littéral du terme). « La valeur première n’est plus le travail mais l’argent », nous explique doctement Pierre Arditi qui fait office de « candide » (et de narrateur) face à Daniel Cohen, économiste de la fondation Jean Jaurès et à l’écrivain Erik Orsenna. Parallèlement à cette nouvelle « élite » émerge le personnage d’Alan Greenspan, sobrement qualifié de « nouveau guide d’un monde égaré » et « ami des marchés ». Face à l’explosion de la nouvelle économie entre 2000 et 2001, accentuée par les attentats du 11 septembre, le Président de la Réserve fédérale décide d’ouvrir les vannes du crédit afin de venir en aide à Wall Street, ce qui provoque une bulle immobilière, favorisée par des courtiers « peu scrupuleux ». Et conformément aux souhaits du Président George Bush qui veut multiplier le nombre de propriétaires... « Taper » sur Bush constitue ici une facilité. Rappelons ainsi que son prédécesseur, Bill Clinton, avait initié largement ce mouvement... Mais il est inutile d’être très précis  : seul le message compte. Longuement, le reportage fixe les pleurs d’une propriétaire expropriée qui aurait été trompée et dont la responsabilité dans la situation qui l’emploie n’est étrangement pas évoquée. Nous ne pouvons rien faire contre la bêtise humaine, dira en substance Alan Greenspan dans la suite du documentaire, même si la portée de son discours se trouve totalement travestie par le commentaire : « le marché ne peut pas tout », nous assène-t-on. 
La titrisation est évoquée brièvement, l’accent étant plus volontiers mis sur l’Etat, forcément bienveillant, qui vient au secours des banques, plombées par leurs actifs toxiques mais qui, dans le même temps et pour des raisons visiblement de basse lutte personnelle, laisse sombrer Lehman Brothers... La fin du documentaire, intitulée « une morale retrouvée  » n’a finalement que peu d’intérêt et relève de la conjecture : les golden boys d’hier vont se reconvertir dans le micro-crédit (son « inventeur », Mohammad Yunus, étant qualifié de «  Saint »), l’avenir est aux énergies renouvelables... 
Pour résumer, les financiers sont mauvais, l’Etat est bon et la réglementation notre salut. Rien que du très classique, surtout dans notre pays. Ce message, ô combien simpliste, est le seul que l’on puisse tirer de cet empilement de réflexions pré-mâchées qui vont dans le sens de l’opinion. Car le grand absent est paradoxalement l’Etat mais dans ce qu’il porte comme responsabilités dans la crise : l’Etat qui favorisera le crédit hypothécaire dans un but électoraliste en oubliant que le prix de la pierre peut baisser, l’Etat qui apportera sa signature (son triple A) à ces créances plus que douteuses, l’Etat qui fera et fait continuellement pression sur ceux qu’il a nommés à la tête des banques centrales pour abaisser les taux d’intérêt et dynamiser artificiellement la croissance, l’Etat qui se satisfera et se satisfait de la succession de bulles tant ses représentants redoutent l’assainissement pourtant inéluctable de l’économie qui leur serait fatal au plan électoral. 
Evidemment, la financiarisation à l’excès de l’économie porte sa part de responsabilité dans le marasme actuel. Le « courtermisme » (soulignons-le, Erik Orsenna revient dans ce documentaire sur cette véritable « maladie d’aujourd’hui ») est également pointé du doigt car il se substitue malheureusement à la recherche et l’investissement. Un tropisme qui touche également les individus, ne l’oublions pas. Plus que « le roman de la crise », c’est le roman économico-politique d’aujourd’hui qu’il conviendrait d’écrire. Avant que celui de demain ne nous oublie peut-être totalement à mesure que le barycentre de notre monde se déplace. Sur ce sujet d’ailleurs, nos trois intervenants n’auront guère été prolixes. Il est toujours difficile d’être spectateur d’un monde qui change.

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